Comment je suis devenu un dangereux zadiste

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Comment je suis devenu un dangereux zadiste

Cet article a été écrit en octobre 2018 par un contributeur du Discord. Nous le postons ici avec son autorisation.

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Je vivais jusque-là dans ma bulle, mon objectif était une vie stable avec ma copine et un CDI. J’ai vécu une radicalisation écolo et anarchiste assez rapide et j’ai décidé de tout lâcher et apprendre la permaculture pour ensuite me lancer dans une communauté autonome entre potes. Entre deux wwoof, j’ai décidé de découvrir une ZAD, on m’a conseillé celle de Roybon.

Je suis donc parti un matin mi-août en covoiturage puis en stop pour aller à la rencontre d’inconnus dans la forêt, alors que je ne suis presque jamais sorti de chez moi de ma vie. Le second qui m’a pris en stop a spot que j’allais à la ZAD et m’a dit « Fais gaffe, si quelqu’un te prend en stop près de Roybon et sait où tu vas, t’as 1 chance sur 2 qu’il te casse la gueule. »

Ah.

Mais j’ai quand même continué le stop parce que je suis trop un ouf et surtout parce que j’avais pas envie de débarquer à la ZAD au milieu de la nuit. Au final, j’ai pas eu de soucis.

Je prend avec incertitude (du mal à lire la carte) un petit chemin qui me mène à une barricade (nord) avec un pont-levis baissé (on m’a dit plus tard qu’il est normalement jamais laissé baissé sans surveillance comme ça et en effet je n’ai jamais revu ça), j’avançais doucement pas trop sûr d’avoir le droit de rentrer comme ça sans rien dire et j’entendais personne. J’ai demandé s’il y avait quelqu’un, on m’a entendu, on est venu me chercher. Je me suis donc retrouvé face à plusieurs inconnus posé autour d’une table, j’étais pas trop à l’aise, je ne suis jamais allé dans un bar, je n’ai quasiment jamais parlé à des inconnus de ma vie (sauf sur internet).

Je me souviens pas en détail de nos conversations mais en gros on a parlé un peu de moi, j’ai partagé des fruits secs, j’ai posé une question déplacée (moment très gênant) puis j’ai demandé où je pouvais dormir et on m’a parlé de la Marquise et on m’a expliqué comment y aller.

Sauf que voilà, la nuit est tombée et j’ai totalement oublié les explications au bout de quelques secondes. Je me retrouve dans des petits chemins dans la forêt où la lumière n’entre pas, heureusement j’ai une lampe frontale mais je suis pas sûr du tout d’où je vais et y’a pas mal d’intersections.

J’ai eu la chance d’être arrivé à la ZAD pendant une « teuf » totalement par hasard et j’ai pu suivre le son pour me repérer.

J’arrive à la Marquise dans le noir complet, y’a énormément de monde, j’aborde des gens au pif pour dire bonjour et avoir des infos sur la fête et sur où je peux dormir et je pars me coucher assez tôt parce que j’ai passé toute la journée à marcher et lever le pouce.

Évidement vu qu’il y avait beaucoup de monde, le sleeping (nom donné aux lieux des squats où tout le monde peut dormir, il y a aussi quelques chambres perso et une chambre non-mixte) était plein à craquer, un inconnu est venu sur le même matelas que moi au milieu de la nuit par manque de place, le top confort.

Le lendemain c’est le dernier jour de la fête, heureusement je me dis, plus que 1 nuit à 2 sur le même matelas. Je suis surpris d’enfin découvrir le coin où j’ai dormi. J’avais pas vu le potager, ni les poules, les oies et les chèvres. Je revois des gens avec qui j’ai un peu fait connaissance et on part découvrir la barricade sud, dernière des 3 zones principales de la zad, puis on retourne à la Marquise pour la fin de la fête, avec des chanteurs et un spectacle de marionnette complètement perché.

Pendant mes quelques jours à la Marquise, j’ai bien galéré à me renseigner sur son fonctionnement. Il n’y avait que 1 ou 2 personnes habitués à la vie ici, noyés dans une foule de gens venant pour la fête. Chaque jour je trouvais un petit papier bien caché avec des instructions pour quelque chose.

Il n’y a pas d’eau courante, elle est récupérée avec des bidons dans une source juste devant la maison, la vaisselle est faite dans un bac lavage puis un bac rinçage, la lessive dans une bassine avec de l’eau d’un bassin à la source, la douche dans une baignoire à coté du sleeping en chauffant au bois l’eau du bassin.

Perso je ne l’ai pas encore utilisée, je préférais toujours aller me baigner dans l’étang à coté (tout nu), profitant qu’il fasse chaud jusqu’en octobre.

Par contre à la Marquise y’a de l’électricité, avec des ampoules dans toutes les pièces, une radio et des prises pour charger les smartphones et autres conneries, mais en hiver, les batteries se déchargent vite par manque de soleil. Mais y’a pas de réseau, sauf si t’es chez Bouygues et que tu vas dans un coin précis d’une chambre au 2eme étage (mais j’ai découvert ça qu’en Octobre).

On fait pipi dans les bois et caca dans des toilettes sèches (ou dans les bois, selon l’envie, d’ailleurs j’ai repéré un coin super dans les bois avec un ruisseau pour se laver le cul).

On mange tous ensemble après que certains aient eu la deter de faire à manger. Il y a une gazinière et une cuisinière à bois, qu’on coupe à la hache juste à coté.

Aux barricades, il n’y a presque que de la récup dans les poubelles des supermarchés, ici, il y a aussi des légumes du potager et de la bouffe donné par des soutiens.

La Marquise c’est un peu la zone tout public de la ZAD, ils ont bien plus de relations extérieures et il n’y a même pas de barricade, c’est aussi une maison située en dehors de la ZAD, apparemment, et c’est là qu’une bonne partie des événements se font.

Si vous avez entendu parler de la zone agricole et la zone forêt de Notre Dame Des Landes, bah c’est presque la même chose.

Chaque zone a aussi un Free Shop, où on peut déposer des affaires ou se servir. J’y ai pris un imper car j’ai oublié le mien et des fringues pour le froid en Octobre.

2~3 jours après la fête, HK (un pote de mon groupe de gauchiste d’internet) vient à la ZAD. Je pars à la barricade nord pour l’attendre là-bas en me disant que je vais aussi voir s’ils ont besoin d’un coup de main, sauf qu’arrivé à destination je demande juste si y’a un lit dispo parce qu’en fait j’ai choppé un syndrome grippal qui fait sa tournée dans la ZAD. HK n’est resté que quelques heures, j’ai juste eu le temps de lui montrer deux zones et j’étais complètement mort. Après ça, j’ai dormi deux jours.

La ZAD s’est énormément vidée, les touristes sont parti, des habitants sont allés en festival, je voulais bouger de la Marquise et un jeune punk que je nommerai V m’a proposé de venir squatter la barricade sud où ils sont que deux à ce moment. J’ai donc passé les derniers de mes 11 jours avant un wwoof le 27 août à Sud avec eux, ce sont devenu mes premiers potes parmi les habitants.

Sud, c’est la plus grosse barricade, c’est dans la forêt, y’a pas de grand potager, y’a pas d’élevage, à part 3 poules et 1 coq qui vivent en liberté (et viennent souvent tenter de foutre le zbeul dans les réserves de bouffe). La légende raconte que le coq a attaqué les flics pendant la perquisition de Juin. Puis comme ailleurs y’a des chanarchistes et un nombre de chiens proportionnel au nombre de punks à chiens présent dans cette zone (là y’en avait aucun). Ah et y’a pas mal de grenouilles et de grosses libellules dans les marres créée quand ils ont creusé pour faire les barricades et habitations en terre-paille.

À Sud, y’a pas d’électricité et faut sortir de la zad et aller assez loin pour un peu de réseau. On oublie le smartphone du coup et on s’éclaire la nuit avec des frontales, un feu ou des bougies.
À Sud, y’a pas de cuisinière, on cuisine tout sur un feu fait dans un barbeuq. Ces quelques jours que j’y ai passé, c’était la dèch niveau bouffe, on se nourrissait que de chapatis, la spécialité culinaire de Sud.
Sud c’est réputé pour être la zone la plus schlag de la ZAD.

Et c’est un peu vrai, mais ça a son charme et je m’y suis attaché, mes potes sont tous là-bas. Cela dépend pas mal des habitants en fait, qui peuvent changer assez rapidement. Par contre à Sud y’a plein de bd, ça m’a occupé en attendant le wwoof, quand j’étais pas en train de discuter avec V et H, chercher du bois ou faire des chapatis. J’y ai passé aussi une nuit seul, croisant les doigts pour ne pas avoir une visite nocturne des fafs de Roybon (que je n’ai personnellement pas encore eu la joie de rencontrer).

Un mois plus tard, le 23 Septembre, après deux wwoof plus ou moins décevants, me revoilà à la ZAD, j’ai quelques larmes de joies car j’ai le sentiment d’enfin être de retour à l’abri de la déprime ambiante du salariat, de la paperasse et du capitalisme, qui m’ont pas mal pesé pendant le wwoofing.

J’arrive encore par Nord, cette fois je m’en moque, le pont-levis n’est pas baissé, je contourne la barricade et je rentre dans la ZAD sans annoncer mon entrée. Je dis bonjour aux gens présent à Nord, je dis que je viendrai passer du temps là (car c’est la seule zone où j’ai pas encore vécu) après avoir dit bonjour à Sud, car j’avais hâte de revoir V et H à qui j’avais promis de revenir. Au final on m’a proposé de loger dans une cabane près de Sud (où y’avait du réseau !) et je ne suis jamais allé vivre à Nord.

Je me suis fait plus de potes à Sud, puis y’a eu des gens que je n’appréciais pas trop qui ont débarqué et je me suis retrouvé de nouveau à la Marquise (et j’ai encore dormi deux jours, pour une gastro cette fois, d’ailleurs c’était cool de chercher en plein milieu de la nuit un moyen de nettoyer les 5 litres de gerbe que j’ai déposé dans les escaliers).

Et là vient un jour où une teuf est organisée à ACAB (un autre lieu de la ZAD près de Nord) et où des gens ont fait des space cookies. J’aime les expériences psychologiques, du coup j’en ai mangé deux, j’ai su plus tard qu’une habitante de la Marquise habituée à ces substances a mangé 1/4 d’un cookie et est restée perchée toute la journée. J’ai jamais fumé ou consommé de drogues ou même du tabac, Je suis parti avec un gars qui venait à la ZAD pour la soirée, on s’est fait contrôler par des flics qui ont vu l’annonce de la soirée et sont venu patrouillé, ça y’est, je suis fiché.

Et là, arrivé à l’endroit où la fête va avoir lieu, la perche commence. Je suis resté complètement perché de Mardi à Jeudi et je ne suis totalement descendu que Dimanche. J’ai passé 2 jours et 1 nuit assis au même spot sur un canap dehors (on a dormi à 3 dessus avec un chien et un mec qui a fait le combo alcool cookies).
Mon corps était présent à la soirée mais pas ma tête. Y’a plein de gens qui me parlaient, on m’a ramené un truc à boire et je sais toujours pas à ce jour si c’était du maté ou du gingembre parce que ma mémoire est très floue. On m’a passé une doudoune (je sais pas d’où elle vient) pour pas que je crève de froid en t-shirt (j’avais des fringues mais je pouvais pas me lever pour aller les chercher et j’arrivais pas à expliquer que j’en avais (à ce stade j’arrivais plus vraiment à parler)). J’ai aussi passé du temps sur mon tel à discuter sur discord pour essayer de pas trop partir en vrille.

Mercredi, V arrive à me faire me lever un court instant pour aller chercher un truc à bouffer puis une personne qui m’a tenu un peu compagnie pendant la soirée me propose de me ramener à la Marquise pour pas que je passe une nuit de plus sur ce canap.

Jeudi, Kaazhan (un autre pote de mon groupe de gauchiasses sur discord) arrive à me convaincre que je dois marcher, du coup je pars à Sud et ces cons essaient de me faire boire du lait de beuh, heureusement, ils échouent, sinon c’était la perche à vie.
J’ai dit pas mal de trucs perché du genre « Non arrête, c’est ma connexion à la réalité. » quand un pote m’a piqué le chaton que j’avais sur les jambes, ou bien « Je ne vais plus manger de tomates, ça me fait peur, elles éveillent mes sens. » (j’avais l’impression de ressentir 10 fois plus la texture des aliments et c’était assez violent les tomates, je mangeais que du pain du coup pendant 3 jours).

Vendredi soir, Strange (encore un autre du discord) et Kaazhan arrivent à la ZAD, pour 1 jour et 2 nuits, je suis encore un peu perché. Kaazhan se fait victimiser par un chien pendant la nuit, comme à son habitude, puis le lendemain je leur fait une visite de la ZAD avec des potes et puis y’a une soirée film et pizza à la Marquise où débarquent tous les zadistes, mais en fait ils s’en foutent du film, ils sont là pour les pizzas.

Le jour de leur départ on entend dire qu’il y a eu une embrouille à avec un chasseur qui est venu chasser aux abords de la ZAD et qui s’est fait péter son fusil, je me suis dit que ce serait marrant une perquis’ comme en Juin juste avant qu’ils se barrent.

Mercredi matin, je prend de l’eau dans le bassin pour la vaisselle, un gars me dit « Tu sais que c’est les flics là-haut ? » en me montrant un avion dans le ciel, je m’en fous un peu, ils passent souvent, je continue ma vie, puis à 9h un gars nous annonce qu’il y a une trentaine de flics à Nord et qu’on a pas de nouvelles de Sud mais que ça doit être pareil.

Ah !

Je pars planquer mon opinel (parait qu’on peut se faire embarquer pour possession d’opinel, va savoir pourquoi), je fous mon pc dans mon sac à dos, au cas où ils me le confisqueraient pour possession de films téléchargés illégalement, je m’habille (parce que je passe ma vie en pyjama et tongs à la zad) et je descends. Je vois plus personne, je me dis merde, ils se sont tous barré sans moi.

Je commence à me diriger vers les bois et je les vois à l’entrée de la ZAD, ils ont posé une barricade. Apparemment personne n’a prévu de stratégie, je reste à la barricade avec un pote qu’on va appeler F. On finit par voir les flics arriver sur la route, on court, on prévient les autres, on se réfugie dans la Marquise, on sait pas si on se barre dans les bois ou si on reste, F me propose qu’on se barre tous les deux, on y va puis au final il change d’avis, peut-être intimidé par l’hélico et les 30 flics (gendarmes, gendarmes mobiles, psig, brigade de recherche…) armés qui sont dehors et le manque de bois pour nous couvrir à la Marquise.

On était cinq, on nous demande nos papiers, si j’étais pas fiché l’autre fois, là je pense que c’est bon. Le flic qui discutait avec moi comme si on était potes me demande si mon pote (F) est malade, je me retourne, il est par terre, il refuse de montrer ses papiers et se fait embarquer. Je ne savais pas comment réagir, j’étais frustré, je me disais que s’il m’avait prévenu de ce qu’il allait faire, j’aurais fait de même, par solidarité, mais j’avais déjà montré mes papiers. Partir en garde à vue tout seul, ça doit pas être super. Par contre y’a un gendarme mobile qui s’est cassé la gueule avec un tronc d’arbre en partant à reculons, au moins on a pu se marrer un peu.

Le jour-même, ma sœur m’annonce que j’ai un rendez vous pour de la paperasse le lendemain et je dois donc quitter la ZAD. Je passe à Sud leur dire au revoir, on me raconte la perquis’ à Sud, eux ont balancé des galets et des boules de pétanques avant de se barrer dans les bois.

À la ZAD il y a toutes sortes de gens, on y croise des toxicos, des punks à chien, des alcoolos, des agriculteurs sans terres, des artistes en caravane, des hippies, des antifas, des manarchistes (malheureusement), des gens venu d’autres pays, des jeunes paumés, des ex-militaires dégoûté de l’armée et ce n’est pas toujours évident pour tout ce monde de bien vivre ensemble, mais ce qu’on peut trouver tous les jours à la ZAD, c’est un sentiment de vraie liberté, un endroit où l’on peut à la fois vivre isolé et vivre en communauté, selon l’envie du moment.

Bon par contre, on accepte pas les fachos, faut pas déconner.

Et si vous n’êtes pas prêt à accepter la schlaguitude et que vous tenez trop au confort du capitalisme, vous risquez de ne pas vous y plaire non plus.

TL;DR : J’ai pas glandé grand chose à la ZAD, je me suis défoncé avec des cookies, des potes sont venu et j’ai eu droit à une perquis’ avec des gendarme mobile et tout, avant mon départ. Je suis tombé amoureux de cette ZAD et j’y retournerai m’installer très bientôt pour y faire un potager.

Dune

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